A en juger par l’article ci-dessous, publiée dans l’édition d’hier de Le Monde, l'industrie Halal en France est en plein essor. L’intégration du concept Halal a, sans doute, été facilitée par l’intégration antérieure du concept cacher. Quoi qu’il en soit, les industriels agroalimentaires Français ont compris qu’il était de leur intérêt économique de satisfaire leur clientèle musulmane. Tout le monde y trouve son compte, finalement.
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Le Monde, édition du 14.06.05
La nourriture halal attire de plus en plus les jeunes musulmans
Près des caisses de l'hypermarché Auchan de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), des calicots signalent le rayon halal, qui s'étend sur plusieurs mètres. Amida, 28 ans, scrute les étals réfrigérés, son fils dans une poussette. Cette jeune femme moderne et souriante est venue de Romainville, où elle habite, pour faire ses courses. Elle choisit une barquette de blancs de dinde à l'estragon de la marque Isla Delice, estampillée halal. L'association A votre service (AVS) a certifié le travail des sacrificateurs religieux musulmans agréés.
Amida a été attirée par les couleurs de l'emballage, inhabituelles dans ce rayon plutôt austère... Peu pratiquante, la jeune femme dit manger halal par habitude, comme elle le faisait chez sa mère. "C'est plutôt culturel" , dit-elle.
Le deuxième Salon européen de l'alimentation halal, organisé du 6 au 8 juin, à Paris, a révélé le nouveau visage de cette pratique. Près de 10 % des viandes consommées en France seraient halal, selon l'organisateur de cette manifestation, Antoine Bonnel. La consommation halal, elle, est estimée à 5 milliards d'euros en Europe. En France, elle serait en progression de 15 % par an depuis 1998, selon plusieurs estimations.
Ces chiffres sont à manier avec précaution, dans la mesure où aucun institut ne chiffre officiellement ce marché. L'extrême discrétion est également de mise chez les acteurs de la filière.
Depuis deux ans et en dehors de toute réglementation spécifique, le commerce halal prospère discrètement en France. Ce qui était jusqu'ici l'apanage des 3 000 boucheries musulmanes qui contrôlent encore 80 % des volumes intéresse désormais les industriels de l'agroalimentaire et les enseignes de la grande distribution.
Alors que la consommation alimentaire faiblit (- 2 % en 2004), tous lorgnent sur le porte-monnaie des 4 à 5 millions de musulmans vivant en France. Comme ils l'ont fait il y a quelques années pour la communauté juive (environ 600 000 personnes), industriels et distributeurs adaptent leur offre pour répondre aux prescriptions religieuses de l'islam.
"Les jeunes consommateurs musulmans se tournent vers une consommation exclusive, ils sont plus partisans du tout-halal que leurs parents" , explique Florence Bergeaud-Blackler, sociologue à l'unité d'anthropologie de l'université d'Aix-Marseille. La troisième génération issue de l'immigration maghrébine et noire-africaine veut renforcer ses "liens à l'origine" .
Dans l'hypermarché Auchan de Bagnolet, Cindy, une musulmane de 21 ans, étudiante en médecine, confie qu'elle achète un ou deux produits halal "quand son budget le lui permet" . "Pour moi, consommer du halal, c'est comme consommer du bio, j'aime le goût" , dit-elle, en regrettant les prix élevés et le choix trop restreint.
De longues listes d'ingrédients illicites (ou haram, par opposition à halal) circulent sur Internet pour informer les pratiquants. Nestlé, Unilever, Danone, qui utilisent parfois des graisses animales et des gélifiants à base de porc dans les biscuits, les plats préparés ou les yaourts, sont confrontés à des demandes de plus en plus précises.
Ces groupes ne proposent pour l'instant pas de gamme spécifique en France. Mais certains d'entre eux font quelques timides tentatives : Nestlé vend des potages Maggi halal importés d'une de ses usines marocaines. Dans les rayons, on trouve aussi des boissons gazeuses (Apla et Ifri au concentré halal) importées de Tunisie et d'Algérie, comme des raviolis Dea, et même des petits pots pour bébés qui portent la marque suisse Aslaya.
Il y a trois ans, les industriels de la viande et de la volaille (Doux, Duc, Charal, Soviba...) se sont lancés sur le marché. Aujourd'hui, ils sont en position dominante.
"Le halal ? C'est une croissance à deux chiffres depuis trois ans" , se félicite Yves Stunic, le directeur du marketing du groupe Duc qui assume, contrairement à ses concurrents, sa marque principale sur ses poulets et dindes halal. "Il n'y a pas de raison de mettre une sous-marque. Ces consommateurs ne sont pas des sous-consommateurs" , affirme-t-il. En général, la plupart des marques connues hésitent, par peur d'effrayer leur clientèle traditionnelle.
Mais, dans les abattoirs, la vie a déjà changé. Quelques usines font du tout-halal. Le plus souvent, elles réservent des créneaux horaires à cette production, tout comme pour les produits casher, destinés aux juifs.
"On nettoie l'usine entre 22 heures et 1 heure et on commence le halal vers 3 heures, sur des machines propres, sans trace de sang" , explique Hervé Simon, le directeur du marketing de Soviba, numéro 3 de la viande en France, qui produit 2 000 tonnes de steaks hachés surgelés halal par an.
Les 850 employés de cet abattoir installé au Lion-d'Angers (Maine-et-Loire) ont pris l'habitude de travailler avec les sacrificateurs agréés et de voir déambuler les contrôleurs religieux envoyés par les associations qui assurent la traçabilité religieuse, telles qu'A votre service ou Muslim Conseil International. Parfois, une vingtaine de personnes surveillent les ouvriers et apposent elles-mêmes sur les emballages les logos et les scellés.
Un choc culturel ? "Ça se passe bien, même si les conditions de travail sont difficiles, à cause du sang. Le rendement diminue aussi, explique M. Simon. De toute façon, on n'a pas le choix : si on veut faire du commerce avec eux, il faut accepter." Chez Soviba, une salle de prière a été aménagée dans l'usine.
Mais derrière cette apparente organisation, le marché est loin d'être en bon ordre. "C'est une vraie foire d'empoigne et il va falloir que tout cela s'organise" , explique Jean Prévost, consultant auprès de la grande distribution.
Deux grandes enseignes vont tester, d'ici quelques mois, dans deux hypermarchés des espaces halal de 200 à 300 m2. Elles ont besoin de produits. Des équipes marketing, logistiques, commerciales ont été constituées. "Notre plus gros problème, c'est de trouver des produits suffisamment variés et vraiment halal" , dit M. Prévost. La grande distribution a, par exemple, besoin d'un logo unique et accepté par tous les musulmans. Pas question, donc, d'ouvrir la porte à la multitude de sigles plus ou moins sérieux.
Florence Amalou